Canoë... de Dana
J'avais 16 ans, l'âge du premier amour, quand j'ai reçu en cadeau pour mon anniversaire un flacon d'eau de toilette et une jolie bague ornée d'une aigue marine des plus pures...
Ce fut le
dernier cadeau de ma maman, car elle nous quitta peu de temps après...
Elle, est était fidèle à Chanel et préférait les topazes et les
émeraudes.
Avec ces cadeaux: un bijou et un parfum, c'est un peu comme
si elle m'invitait dans un monde fermé, celui de sa féminité.
Le
flacon était en verre dépoli et craquelé, une étiquette ovale, blanc et
or, avec un drapeau également en or, blanc, rouge, et bleu...
Un bouchon blanc, sobre, me faisait penser à un béret de marin, allez savoir pourquoi.
Mes
précédents essais avec les parfums de ma mère ne m'avaient pas préparée
à cette fragance fleurie, pas trop lourde et cependant sucrée, qui
m'allait à ravir, alors que j'ai plutôt une peau de rousse, bien que je
sois brune.
Je l'adoptais d'emblée, faisant de Canoë le compagnon
de mes délires, de mes rêves, de mes joies et de mes peines... petit à
petit, il en est arrivé à faire partie de moi, inséparable compagnon,
présent en toute occasion sur mes vêtements, sous-vêtements,
écharpes... et sur ma taie d'oreiller, pour recueillir mes larmes les
jours de gros chagrin.
Il donna un goût particulier à mes premiers baisers... les lèvres de mon premier amour en étaient imprégnées...
Et
puis, le temps a passé... la bague s'est égarée, et Canoë s'est effacé,
laissant la place à des rivaux plus prestigieux: L'Air du Temps,
Diorella...
Je suis, et je ne le cache pas, très versatile et
volage, je cède souvent à mes impulsions, je me laisse séduire très
facilement, et les coups de foudre se succèdent, le dernier est
Miracle...
- Mais sur mon étagère, il y a toujours un flacon de
Canoöe, la plupart du temps presque vide, et que j'ouvre souvent, les
jours où je ne sors pas, pour le prendre simplement entre mes mains...
son flacon est imprégné de son odeur, je la reconnais entre toutes, je
m'arrange toujours pour la capturer et la garder le plus longtemps
possible.
J'allume des bougies, et un bâton d'encens, j'écoute du blues, et je retrouve mes rêves d'adolescente.
- Mais, à chaque fois que je tombe amoureuse, un nouveau flacon vient rejoindre les autres sur mon étagère, et chaque matin, au sortir de la douche, avant le maquillage, c'est avec volupté que j'en recouvre certaines parties de mon corps... Parce que je veux que la caresse s'attarde, que les lèvres restent sur mon cou pour me murmurer "tu sens si bon"... et que le souffle parfumé me procure de si délicieux frissons.
Voyez-vous,entre temps, j'avais définitivement abandonné
Canoë, il fut une époque où je n'avais plus le droit ni le temps de
rêver...
Seulement, au détour d'une rue, dans le métro, il
m'arrivait de le croiser, porté par une autre femme, la plupart du
temps jolie, et à la quelle je m'identifiais. Et je me mettais à
chercher, chez les parfumeurs, en vain, ma quête se poursuivait parfois
des semaines... et lorsque j'avais la chance de trouver un point de
vente régulier, le magasin fermait avant ma troisième visite. Alors je
guettais les périodes où je pouvais le dénicher sans trop de problème:
à la fête des mères, et aux approches de Noël, en coffret cadeau, avec
un savon parfumé et un déodorant. Je garde l'eau de toilette, et je
fais cadeau du savon et du déodorant à ma fille et ma belle-fille... Et
je garde le flacon presque vide, que je débouche lorsque je suis seule,
sur mon étagère, avec les autres flacons qui se désespèrent, eux de
rester toujours presque pleins...
Et puis, j'ai oublié de vous dire, mais j'aime en mettre sur les oreillers de mes amants...
Et c'est au moment de la fête des mères que j'éprouve une émotion particulière à acheter mon parfum préféré!